LE RETOUR DES INSPECTIONS PEDAGOGIQUES A MONACO

OU LE BATON SANS LA CAROTTE

Encore une fois, durant cette année scolaire 2023-2024, les enseignants des établissements d’enseignement secondaire de la Principauté de Monaco ont été confrontés à une vague d’inspections souvent perçues à tort ou à raison comme la marque d’un dispositif de surveillance et de contrôle, signe de techniques de management que nous croyions tous révolues. Nous pensions avoir enfin dépassé ce problème récurrent par l’établissement d’un dialogue constructif noué avec la Direction de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports. En effet, Le SEM s’est, depuis sa création, alarmé devant la multiplication et la fréquence tout à fait exagérée des inspections diligentées par la DENJS. Car, dans la majorité des cas, c’est bien elle qui les réclame dans le but peu avouable mais quand même avoué au détour de conversations avec certains de ses cadres, de « mettre la pression » sur les enseignants monégasques ou détachés.

Rappelons que ces inspections sont menées par des IA-IPR (Inspecteurs d’Académie-Inspecteurs Pédagogiques Régionaux) pour les professeurs du secondaire général, technologique et professionnel ou bien, le cas échéant, par des professeurs chargés de mission faisant fonction d’inspecteurs. Toutes ces personnes sont des fonctionnaires français dépêchés par le Rectorat de l’Académie de Nice sur la demande de la DENJS.

Déjà l’année dernière, nous avions alerté ces derniers du nombre anormalement élevé de ces inspections qui touchent tous les établissements d’enseignement secondaire et primaire, tant privés que publics. Loin de contribuer à rétablir la confiance entre le corps enseignant et sa hiérarchie, ces inspections qui n’ont jamais cessé, y compris contre toute logique durant la période de crise sanitaire, ont contribué à nourrir une ambiance de travail délétère. Face au silence de notre hiérarchie, nous en avions fait part très officiellement au Ministère de l’Education nationale français. Grâce à cette initiative, les autorités françaises s’étaient rapprochées de leurs homologues monégasques et les membres du SEM avaient été contactés par les plus hautes instances de la Principauté.

Malgré ces actions que nous avions crues déterminantes pour l’obtention d’un infléchissement de cette politique pilotée par la DENJS, nous sommes forcés de constater que les inspections se sont encore multipliées durant cette année scolaire avec, à la clé, leur lot d’aberrations.

Suite à nos échanges avec de nombreux professeurs, nous avons malheureusement découvert que certains fonctionnaires ont été inspectés durant deux heures d’affilée avec des classes différentes. Tel enseignant a eu droit à sa troisième inspection en sept ans. Tel autre a été inspecté sans qu’il n’ ait ensuite d’entretien avec l’inspecteur. Enfin, que dire de ces collègues chevronnés au dernier échelon de la hors-classe, parfois lauréats des concours les plus difficiles et qui, tout au long de leur carrière, ont participé à des missions de formateurs pédagogiques, qui doivent subir une ultime inspection à un ou deux ans de leur départ en retraite…

Ces inspections suscitent depuis une dizaine d’années de nombreuses interrogations sur leurs buts véritables. Les inspecteurs eux-mêmes, quand ils acceptent de se confier aux professeurs qui font l’objet de leur attention, s’interrogent parfois sur la pertinence de leur présence et la vraie raison de leur intervention alors même que, depuis la réforme PPCR (Parcours Professionnel, Carrières et Rémunérations) mise en œuvre en 2017, les missions d’inspection ont changé de nature. Que dire aussi de l’omniprésence des conseillers pédagogiques et de ces débriefings dans la plus complète opacité entre les inspecteurs et des membres de la DENJS à la suite de ces visites ?

 Mais revenons à ce rôle dévolu aux conseillers pédagogiques chargés de l’enseignement secondaire maintes fois déploré par le SEM. Rappelons qu’en France, les chargés de mission de l’Inspection Académique se doivent de plus en plus d’être titulaires du CAFFA (Certificat d’Aptitude aux Fonctions de Formateur Académique). Est-ce le cas de nos conseillers pédagogiques qui demandent désormais aux enseignants « visités » de remplir des fiches de plus en plus détaillées afin de déterminer si ces derniers ont suffisamment participé à des formations sachant que lesdites offres de formation ne sont pas, loin s’en faut, en adéquation avec les demandes, attentes et besoins du corps enseignant ?

La justification officielle de ces inspections est souvent la même. Elles seraient en relation avec l’imminence d’une éventuelle promotion à un échelon supérieur. Sachant que les carrières en Principauté ont été considérablement ralenties depuis la désynchronisation des grilles française et monégasque en 2017 et que l’accès à la hors-classe est de plus en plus rare, le SEM, au nom de ses adhérents, émet quelques doutes sur ces justifications que l’épreuve des faits contredit. C’est pourquoi, au nom de nos adhérents, nous demandons une plus grande transparence en matière d’inspection.

A l’occasion d’une réunion en mars 2022, la DENJS avait informé le SEM de son souhait de faire inspecter chaque professeur de collège ou de lycée en moyenne une fois tous les cinq ans. Nous condamnons fermement un tel projet car, si celui-ci devait se concrétiser, un jeune professeur monégasque de 25 ans, frais émoulu, recruté après au moins cinq ans d’études supérieures, de concours et de stage de titularisation, devrait se préparer à subir au moins 8 inspections dans sa carrière ! On comprendra qu’une telle perspective risque de refroidir plus d’une vocation pour ce qui fut, il y a encore peu de temps, le plus beau métier du monde et provoquer, parmi les impétrants déjà peu nombreux, un désir de réorientation vers une autre profession où le mot bienveillance ne serait pas qu’un simple slogan galvaudé uniquement à destination des enfants et des parents d’élèves.

Il est aussi de notre mission d’avertir les éventuels candidats à un poste d’enseignant détaché en Principauté de Monaco qu’ils risquent fort, faute d’un changement de cap de la part de la DENJS, d’être très régulièrement inspectés alors même qu’en France le nombre d’inspections a été considérablement réduit depuis 2017. Cette épée de Damoclès pourrait hélas décourager plus d’une candidature à un moment où se pose avec acuité le problème de la pénurie de professeurs. En outre, ces vagues quasi épidémiques d’inspections confinant à l’infantilisation des enseignants qui, rappelons-le, sont des fonctionnaires de catégorie A recrutés sur la base de concours nationaux, ne peuvent que contribuer à la démoralisation et à la défiance des équipes pédagogiques à une époque où la valeur de l’enseignement est partout remise en cause.

On peut s’interroger sur cette étrange logique qui se cache derrière cette gestion au fil de l’eau des carrières des fonctionnaires. La DENJS se targue pourtant publiquement de sélectionner non des dilettantes mais des professeurs d’élite avec pour condition sine qua non à leur recrutement l’excellence des rapports d’inspections effectuées en France. Pourtant, une fois arrivés en Principauté, la même DENJS se met à vérifier avec une fréquence très inhabituelle la qualité du travail et les compétences déjà amplement reconnues de ces mêmes professeurs en faisant appel aux inspecteurs de l’Académie de Nice. Nous sommes forcés d’en déduire que ce n’est pas la preuve d’une volonté d’établir des rapports harmonieux et apaisés alors même que la DENJS fait en permanence appel au dévouement jamais démenti de ses personnels pour mener à bien toutes sortes d’actions qui n’ont parfois qu’une relation très éloignée avec la pédagogie et qui, souvent, ont lieu en dehors du cadre et du temps strictement scolaire…

Les succès exceptionnels aux différents examens et concours des élèves de la Principauté de Monaco ainsi que la réussite de nos jeunes dans l’enseignement supérieur démontrent depuis des lustres l’excellence, le dévouement et l’implication des équipes pédagogiques qui, autrefois, n’avaient pas besoin de se plier à intervalles aussi courts à ces rituels pénibles. Au contraire, les enseignants se voyaient honorés par de fréquentes promotions et des distinctions honorifiques désormais réservées au compte-goutte à quelques heureux élus. O Tempora, O Mores

Les inspections sont certes nécessaires au cas où des défaillances de la part d’un enseignant seraient de notoriété publique et reconnues par de nombreux acteurs du système éducatif mais ces problèmes qui peuvent justifier l’intervention d’un inspecteur restent somme toute très rares à Monaco et doivent avant tout relever de l’appréciation des chefs d’établissement et d’eux-seuls puisque ce sont ces cadres supérieurs qui connaissent le mieux leurs équipes. En dehors de cela, le SEM est favorable à une application stricte et limitée de la réforme PPCR en matière d’inspection en Principauté de Monaco.

Si l’on se fonde sur la place nouvelle de l’inspection depuis la mise en œuvre de la réforme, les rapports écrits et oraux ne doivent pas se contenter d’un inventaire à la Prévert des défauts et limites du cours du professeur évalué ponctuellement sur 55 minutes à l’occasion d’une mise en scène dont tout le monde reconnaît le caractère artificiel. Au contraire, l’inspection tantôt nommée rendez-vous de carrière, visite conseil ou visite d’accompagnement, doit être l’occasion d’un échange constructif entre l’enseignant et l’inspecteur qui, d’après la philosophie de la réforme mise en œuvre depuis sept ans, doit éclairer le fonctionnaire non seulement sur ses pratiques pédagogiques mais aussi sur ses éventuelles perspectives de promotion, de changement de corps voire même de bifurcation vers d’autres fonctions grâce notamment à l’obtention de nouveaux diplômes, concours et certifications. Nous ne soulignerons jamais assez que les enseignants ont le droit d’obtenir des informations claires et circonstanciées à propos de ces possibilités de promotion et d’évolution de carrière tant au sein de l’Education Nationale française que monégasque. Enfin, les inspecteurs venus de France doivent être aussi préalablement mis au courant des procédures liées aux grilles d’avancement et aux évolutions de carrière mises en place par la DENJS à l’intention de ses enseignants. Ce n’est pas aux professeurs inspectés de renseigner ces hauts fonctionnaires…

Pour conclure, nous espérons sincèrement, que le SEM sera cette fois entendu sur le sujet délicat des inspections.  Nous souhaitons aussi que les changements à la tête de la DENJS effectifs après le 30 juin 2024 seront l’occasion d’un nouveau départ et d’échanges constructifs pour rebâtir des rapports fondés sur la confiance réciproque entre le corps enseignant de la Principauté de Monaco et sa hiérarchie pour qu’enfin, la dernière page de ce dossier puisse être définitivement tournée.