A Monaco, des enseignants trop (mal) payés ?

Ou « parce qu’un problème bien posé mène à un progrès »

11.10.2022

Le 19 septembre 2022, la Gazette de Monaco publiait un article intitulé “Enseignant, un poste attractif à Monaco“. La journaliste y reprenait un certain nombre de propos émanant de la DENJS, les assortissant de formules toute faites comme “Alors que le pays voisin fait face à une pénurie de professeurs, à Monaco, ils se battent au portillon”.

 

A la lecture de cet article, l’enseignant monégasque passe pour un nanti, profitant d’un système quasi unique au monde. Mais ce texte n’est en réalité que la retranscription d’une idée qui se diffuse toujours plus dans les diverses strates de l’administration monégasque, parfois chez des personnes très éloignées de la réalité du terrain mais parfois aussi chez certains collègues qui culpabilisent presque à force qu’on leur répète qu’ils ne méritent pas de tels revenus.

 

Il est donc temps d’analyser le sujet des salaires des enseignants à Monaco, avec une certaine rigueur et en évitant les raccourcis hâtifs sans cesse rabâchés.

Le principal écueil dans lequel il ne faut pas tomber lorsqu’on traite de ce sujet, c’est la comparaison avec les traitements reçus par les collègues qui enseignent sur le sol français. En effet, les salaires versés à Monaco concernent en premier lieu les enseignants de nationalité monégasque qui ont le droit de percevoir un revenu équivalent à leurs concitoyens à niveau d’études égal. Or un professeur qui a passé son concours après avoir obtenu au minimum un Bac+5 ne gagne pas autant que son équivalent dans le reste de la Fonction publique. De plus se pose-t-on la question de savoir si un fonctionnaire monégasque gagne plus ou moins que son alter-ego dans l’administration française ? Certainement pas. Alors pourquoi faire cette comparaison pour les enseignants ?

 

Il serait plus pertinent de comparer les salaires dans des pays à niveau de vie équivalent. Or, l’enseignant monégasque est malheureusement très loin de son collègue suisse ou luxembourgeois par exemple. Dans le Grand-Duché, un professeur du secondaire perçoit en moyenne 101.500 euros par an, alors qu’en Suisse, le revenu médian est de 93.000 euros. On le voit, Monaco se situe loin de ces chiffres, alors que le coût de la vie y est aussi très élevé pour l’enseignant qui y vit.

Ainsi la DENJS a beau jeu de toujours comparer les revenus monégasques à ceux du pays voisin, mais les enseignants détachés par la France ne font que percevoir les salaires payés aux nationaux, dans le pays qui les accueille. Ni plus, ni moins.

On comprend cependant bien l’intérêt d’une telle comparaison : la France est en effet l’un des pays de l’OCDE qui rétribue le moins le travail de ses professeurs, comme le montre ce graphique.

Pourtant, qu’un enseignant monégasque soit payé aussi bien que son homologue hollandais ou autrichien ne nous semble pas être une hérésie. Ce qui est inadmissible c’est le revenu d’un professeur en France, mais nous accorderons aisément à la DENJS qu’elle n’en est en rien responsable.

En revanche, ce qui est plus discutable c’est l’usage qui est fait de cette comparaison systématique avec la France : elle permet d’exiger du personnel de nombreuses tâches à mille lieues de l’enseignement et de multiplier les heures de travail non rétribuées. Ainsi, un courrier de Madame le Commissaire général adressé au SEM le 07/07/2022 affirmait que « les professeurs exerçant en Principauté de Monaco bénéficient, à l’instar des autres fonctionnaires et agents de l’État, de l’indemnité compensatrice égale à 25% du traitement indiciaire qui vise à prendre en compte certaines obligations particulières liées au poste occupé ». Autrement dit, cette indemnité prévue à l’origine pour compenser en partie le coût de la vie élevé, devient un argument trop souvent utilisé par notre Direction pour justifier les nombreux abus et la pression récurrente exercée sur les personnels détachés à travers la menace omniprésente et à peine voilée d’un non-renouvellement en cas de refus.

C’est un jeu dangereux de faire cela, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, dans l’article de la Gazette de Monaco, la DENJS rappelle que dans le cadre de l’accord de coopération de 1994 avec la France « aucun quota n’existe ». Monaco fait connaître chaque année ses besoins au pays voisin. Mais l’article oublie de préciser que la France n’est jamais tenue de détacher du personnel, cela relève du recteur d’académie d’origine du détaché et du ministère français. Autrement dit, l’administration française peut décider une année (par exemple pour cause de pénurie, ce qui arrive de plus en plus souvent) de ne pas détacher un enseignant sur un poste à pourvoir en Principauté. Monaco, n’ayant pas de remplaçants en masse à disposition, cela peut vraiment déstabiliser une rentrée…

La DENJS n’est donc pas en position de force face à la France. La source du recrutement peut un jour se tarir, notamment dans le cas d’une éventuelle baisse des primes de détachement, menace parfois sous-entendue lorsque les discussions se tendent avec les autorités. La récente “crise des cotisations retraite françaises” a aussi démontré à quel point Monaco avait besoin de rester attractif en termes de salaires par rapport à la France, sous peine de mettre en danger son propre système éducatif. Rappelons que dans le public, seuls 23% des enseignants sont de nationalité monégasque

Pour corroborer cette idée, si l’on parle d’attractivité, il faut également rappeler à quel point le décrochage entre grilles françaises et grilles monégasques a modifié la donne dans le mauvais sens depuis 2017. En effet, la Principauté a refusé de s’aligner sur les carrières françaises à partir de cette date. Cette décision explique le décalage pour un détaché entre les grilles d’avancement des deux pays.

Prenons l’exemple d’un professeur au 6e échelon de la hors classe en France (indice 806) et qui à Monaco reste au 11e échelon de la classe normale (indice 688), soit 118 points d’écart entre ses deux carrières ! Là où les choses deviennent particulièrement injustes, c’est que ce même détaché français doit cotiser pour sa retraite selon son échelon français qui ne cesse d’augmenter alors que dans le même temps il stagne dans sa grille monégasque, perdant donc ainsi régulièrement du pouvoir d’achat.

Ajoutons que le décrochage entre ces deux grilles pénalise également les enseignants monégasques qui depuis 2017 voient leur avancement de carrière très limité (avancement à l’ancienneté pour la majorité des cas) tandis que dans le reste de la Fonction publique les avancements sont récurrents.

En résumé, la situation est donc bien plus complexe que ne le laisse sous-entendre le discours de la DENJS. Les salaires des enseignants de nationalité monégasque ne sont pas élevés par rapport à ceux de leurs concitoyens ou par rapport à ceux pratiqués dans des pays au niveau de vie comparable. D’autre part, les détachés français ne font que toucher le salaire pratiqué dans le pays où ils viennent travailler, salaire d’ailleurs largement lesté par les impôts payés en France, et ils perdent peu à peu du pouvoir d’achat à cause du décrochage entre grilles françaises et monégasques.

Bien sûr, le but du SEM n’est pas de noircir la situation mais juste de rétablir les faits, et notre rôle est également de reconnaître les efforts du gouvernement monégasque pour faire face à l’inflation. L’objectif est uniquement de rétablir une vérité simple : les enseignants de Monaco ne sont pas des nantis et méritent amplement leur salaire en échange du travail de grande qualité qu’ils fournissent. Et si la DENJS se targue d’avoir reçu l’an dernier 216 candidatures au détachement en Principauté pour seulement 19 heureux élus, nous sommes en droit de nous demander pourquoi ce ne fut pas l’occasion de recruter davantage de professeurs et éviter ainsi de surcharger certaines classes au Lycée Albert Ier avec 32 élèves.

Tous ces constats amènent le SEM à exiger des avancées catégorielles.

Depuis trop longtemps, nous ne connaissons que des mesures généralistes, comme l’augmentation de la valeur du point d’indice, sans obtenir de mesures spécifiques à nos fonctions.

Les revendications que le SEM va soumettre au gouvernement monégasque sont donc les suivantes :

    • Un rattrapage général des salaires depuis longtemps gelés
    • Un rattrapage des carrières pour exiger un avancement généralisé pour tous les collègues et notamment ceux qui ont accumulé des années de retard
    • Le passage à la hors classe automatique après un certain nombre d’années d’ancienneté au 11° échelon de la classe normale
    • Un retour à une synchronisation avec les grilles d’avancement françaises, abandonnée depuis 2017